La Messe n’est (effectivement) pas dite

“J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; […] j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli”
Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? (…) tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? (…) Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”
Et le Seigneur leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”

Mt 25, 35-40

En tant que chrétiens et chrétiennes, nous refusons de laisser Eric Zemmour instrumentaliser notre religion, le christianisme. Pour nous, cette foi est une religion d’amour, loin de la division, la méfiance et la haine prônée par son idéologie.

Notre position est détaillée dans une tribune publiée sur le site de la Croix.

En quoi consiste notre action ?

Face à la publication d’un livre diffusant la haine en prenant notre religion comme justification, notre action se veut joyeuse, positive et résolument non-violente. L’objectif est de montrer que les voix chrétiennes ne se réduisent pas à l’extrême droite et que pour nous les valeurs chrétiennes sont à l’opposé de ce que prône M. Zemmour.

La première étape de notre action est de publier un argumentaire plus détaillé face au discours de l’extrême-droite ici, et dans le journal La Croix.

La deuxième étape a été de glisser des marque-pages dans les librairies contenant le livre d’Eric Zemmour. Les marque-pages peuvent être retrouvés ici.

La troisième étape est de venir interpeller M. Zemmour et ses partisans lors d’une séance de dédicaces à Paris. Interpeller ses partisans avec une action résolument chrétienne de musique, de joie et de prière, et interpeller l’auteur lui-même en lui offrant un marque page pour lui apporter une contradiction. Eric Zemmour n’a pas souhaité recevoir le marque-page ni échanger et nos membres ont été expulsés violemment de la dédicace.

Enfin, la dernière étape sera de nous réunir pour un cercle de silence devant le siège de la maison d’édition d’Eric Zemmour à Paris.

Pourquoi cette action ?

L’Europe judéo-chrétienne, le fantasme d’une identité homogène au service d’un projet politique excluant

Le mirage d’une identité historique unique

Eric Zemmour défend l’idée d’une Europe homogène et uniforme autour de “valeurs judéo-chrétiennes”. Si l’on ne peut pas nier l’influence du christianisme – et de ses racines juives – sur l’Histoire et la construction de l’Europe, le continent est également le fruit d’un brassage culturel entre les cultures grecque et romaine, mais aussi nordique, byzantine, berbère, slave, phénicienne, perse… La notion de judéo-christianisme invisibilise le rôle majeur joué par le mélange des cultures dans l’évolution de l’Europe. 

Le nœud du problème se situe donc sur le monolithisme identitaire, l’idée d’une histoire traversée par une seule identité. Il est juste de parler d’une influence chrétienne majeure. En revanche, dire que c’est la seule qui ait traversé notre civilisation et qui pourra forger notre civilisation du XXIe siècle n’est pas une vérité historique mais un projet politique. 

L’Occident “judéo-chrétien” : un concept récent et instrumentalisé

En réalité, Eric Zemmour simplifie l’histoire1 pour justifier un agenda politique excluant. D’après l’historienne Sophie Bessis2, cette idée d’un « Occident judéo-chrétien » vise d’une part à occulter l’histoire des rapports entre chrétiens et musulmans d’Europe3 et l’apport d’intellectuels musulmans à la philosophie (comme par exemple celui d’Ibn Rushd4, connu sous le nom d’Averroès). Et d’autre part elle sert à invisibiliser l’antisémitisme européen historique et les traditions chrétiennes sur le continent africain. D’après elle, l’expression « judéo-chrétien » est principalement utilisée par les nationalismes non seulement occidentaux mais aussi arabes pour justifier une division. La révision historique opérée par Éric Zemmour propage l’idée simpliste que les deux sphères d’influence chrétienne et arabo-musulmane auraient toujours été en conflit et ne pourraient donc cohabiter. En présentant ce conflit comme inhérent aux deux religions, il fait peser sur celles-ci le poids d’un choix politique.

Une instrumentalisation de la religion qui en dénature la substance

Par ailleurs, ce projet politique s’enracine dans une dénaturation complète du message du christianisme pour le réduire à une identité culturelle. Zemmour instrumentalise la foi chrétienne au service d’une idéologie politique excluant l’islam et les populations étrangère. Au contraire, le christianisme est une religion qui appelle à la conversion des cœurs comme des âmes et non à l’identité ethnique, et qui révèle que toute vie humaine a une dignité inaliénable.

Une action non-violente face à un projet politique dangereux

Face à la machine Bolloré, une action simple et joyeuse !

Il faut également garder en tête le contexte politique et médiatique dans lequel Eric Zemmour inscrit ce livre. Ce millionnaire est bien ancré dans le paysage médiatique français : son livre est édité chez Fayard, acquisition de Vincent Bolloré via le groupe Hachette. Le même milliardaire qui lui a donné de la visibilité sans contradiction sur les chaînes du groupe Canal+, et qui inonde les médias français d’un récit conservateur identitaire appuyé sur la peur de l’autre pour nourrir volontairement l’extrême-droite. Le succès d’Eric Zemmour n’est en réalité pas tant un succès populaire que le résultat d’un matraquage médiatique par ses relations influentes.

C’est la raison pour laquelle nous résistons de façon simple, joyeuse, non-violente et créative en glissant des marque-pages dans ses livres. Nous ne pouvons rivaliser avec cet empire médiatique. Mais nous pouvons nous mobiliser pour rappeler que cette vision ne représente pas tous les chrétiens, et à fortiori ne représente pas la vision catholique”, ouverte et vivante dans l’universalité, qui anime l’Eglise.

La peur diffusée par les idées d’Eric Zemmour n’est pas civilisationnelle, mais sociale

L’utilisation des racines religieuses de la France et du concept d’« occident judéo-chrétien » vise donc ici à établir une distinction entre les “bons” et les “mauvais” Français. La volonté d’établir une telle dichotomie n’est pas nouvelle pour l’extrême droite. Mais qui décide jusqu’où remonter pour définir les Français de “souche” ? D’autant que chaque époque a cherché des critères différents pour tracer une ligne entre ceux qui se ressemblent et les autres.

Durant l’exode rural au XIXème et jusqu’au début du XXème siècle, les Bretons migrants à Paris étaient reçus comme des étrangers. Pourtant, ils étaient catholiques, français, blancs, parfois plus “judéo-chrétiens” que ceux qui les méprisaient. On imagine mal aujourd’hui M. Zemmour tenir ce discours envers un breton catholique comme M. Bolloré.  

En réalité, ce qu’ils subissaient ne tenait pas à leur religion, mais à leur pauvreté. Ce schéma — stigmatiser les pauvres, les ruraux, ceux qui ne parlent pas la langue des élites — ne diffère pas, dans sa logique, de ce que subissent aujourd’hui les migrants, les minorités ou ceux qu’il qualifie de “Français de papiers” pour leur culture, leur langue, leur origine. De ce fait, Eric Zemmour cherche à diviser, entre les Français qu’il veut légitimer et ceux qu’il veut discriminer5.

En tant que chrétiens, nous croyons au contraire que notre vocation est de chercher à rassembler et à voir ce qui nous unit en tant que société.

Des chrétiens persécutés ?

Pour mobiliser, Eric Zemmour utilise la rhétorique de la citadelle assiégée : les Blancs doivent se défendre, car leur existence est menacée par les étrangers qui cherchent à les détruire. Cette rhétorique dangereuse est le premier pas de tous les fanatismes : en posant comme acquis un danger existentiel, elle ouvre la porte à une légitimation de la violence.

De surcroît, pour maintenir cet état d’angoisse permanent, l’extrême droite a besoin de se trouver des menaces en continu, quitte à les inventer. Lorsqu’elles ne viennent pas de l’étranger, elles viennent des autres régions, des identités de genre, de l’écriture inclusive, etc. L’intérêt de présenter l’histoire européenne comme une culture homogène dans laquelle l’Islam n’a jamais existé permet de créer une menace prête à l’emploi6.

De plus, d’après des chiffres du ministère de l’intérieur lorsque M. Bruno Retailleau en était le ministre, la communauté religieuse la plus ciblée est le judaïsme. En effet, parmi les atteintes aux personnes, la part d’actes antisémites est de loin supérieure à celle des actes antichrétiens. La part des actes islamophobes est aussi malheureusement en nette progression7.

Nous croyons que c’est justement cette confusion entre identité et religion qui explique en partie la “déchristianisation” que déplore Éric Zemmour. Une Église obsédée par le maintien de ses traditions et de son identité ne peut toucher les cœurs. Surtout, elle manque à sa mission principale : « la prédication de l’Évangile pour la rédemption de l’humanité et la libération de toute situation oppressive »8. Seule une Église qui n’a rien à perdre et tout à donner peut toucher les cœurs.

Notre foi chrétienne est incompatible avec l’exclusion et nous encourage à œuvrer pour la paix et la défense des plus fragiles

Nous défendons une foi vivante à l’encontre d’une identité figée

Dans sa vision d’une culture européenne figée, Éric Zemmour désigne explicitement les populations issues de l’immigration en général, et musulmanes en particulier, comme les étrangers, ceux dont il refuse de se faire proche. Il prétend que les sociétés européennes furent construites par – mais surtout pour – les chrétiens et les Blancs. À travers ses idées, Eric Zemmour ne représente pas les intérêts des exclus, mais ceux des puissants.

Au contraire, nous souhaitons vivre une foi vivante, qui fasse de nous des artisans de paix et de justice. Nous n’avons pas la prétention d’avoir percé les mystères de Dieu, mais nous croyons que son amour est plus fort que la peur et la haine. En effet, qu’est-ce que croire pour un chrétien, si ce n’est se laisser transformer par l’amour infini donné gratuitement par Jésus ?

 « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. » dit le Seigneur dans Ez 36, 26.

En tant que chrétiens et chrétiennes, nous sommes appelés auprès des exclus et des vulnérables

Nous comprenons qu’il puisse y avoir des peurs dans un monde en perte de repères et nous entendons le besoin d’identité qui en découle. Cependant, l’identité que nous avons reçue est avant tout d’avoir été touchés par l’amour du Christ.  Animés par l’Espérance, le chemin que nous voulons suivre est celui de Jésus, qui ne demeure pas chez ceux qui ont « les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques” (Mt 23, 6-7). Au contraire, Jésus se révèle à ceux que la société considère comme infréquentables. Il dîne chez les publicains, libère la femme adultère, guérit les lépreux et jusqu’à l’enfant du centurion romain, qui représente pourtant l’envahisseur…  C’est même à la Samaritaine, à une étrangère, qu’il commence à révéler la teneur de son Royaume ! 

Ainsi, comment se prévaloir d’une culture chrétienne tout en excluant des pans entiers de la société ? Pour s’extraire de cette question, des catholiques comme JD Vance, vice-président de Donald Trump, réalisent des circonvolutions pour ne pas reconnaître chaque être humain comme son prochain. Ils tordent notamment la notion thomiste “d’Ordo Amoris”9. Comme l’écrivait en février 2025 le Pape François, à l’unisson avec le cardinal Robert Francis Prévost – futur pape Léon XIV – : « Le véritable “ordo amoris” qui doit être promu est celui que nous découvrons en méditant constamment sur la parabole du “Bon Samaritain”, c’est-à-dire en méditant sur l’amour qui construit une fraternité ouverte à tous, sans exception. »  Pour nous, l’amour proprement chrétien a pour fondement et seule limite l’amour de Dieu : il a une source inépuisable, fondement inébranlable et une limite qui n’en est pas une : il est indissolublement infini.

Cette idée rejoint le principe de la destination universelle des biens de la Doctrine Sociale de l’Église catholique, qui appelle à faire sienne « l’option préférentielle pour les pauvres ». Elle signifie, ici par la voix de Saint Jean-Paul II que “l’Église est invitée à exercer un amour de préférence à l’égard de ceux qui sont dans le plus grand besoin, tant par des actions individuelles que par des changements structurels”10.

Dans cette lignée, œuvrer au bien commun relève d’un déplacement qui trouve son origine dans notre foi. Comme l’écrit le Pape Léon XIV dans son exhortation apostolique Dilexit Te : “Dans tout migrant rejeté, le Christ lui-même frappe à la porte de la communauté » (§DT 75). Ce Christ qui était lui-même exilé en Egypte s’est fait pauvre parmi les pauvres, il a été rejeté, humilié. Face à cet appel du Christ, il est à se demander si « sous le nom de christianisme ne se cache pas un code de bienséance morale et religieuse dont le souci principal est de décourager les élans, de combler les abîmes, d’excuser les audaces, d’évacuer la souffrance”11.

Nous souhaitons vivre l’Espérance du Christ ressuscité

Là où Eric Zemmour reconnaît être « pour l’Eglise et contre le Christ »12, nous refusons que ce « judéo-christianisme » athée maurrassien13 prenne en otage le christianisme en France, pour le mettre au service de son nationalisme populiste. Nous nous désolidarisons et nous opposons radicalement à cet usage identitaire de notre foi. Dans “christianisme”, il y a “Christ” — et les deux sont indissociables. On ne peut pas invoquer le christianisme en effaçant Celui qui en est le cœur, ni réduire l’Évangile à une culture. Il faut choisir : croire en la renaissance d’une chrétienté fantasmée, ou bien vivre de l’Espérance du Christ Ressuscité qui cherche à nous rendre pleinement libre. Et pour vivre cette Espérance, nous croyons en l’amour comme point de convergence, comme en témoigne la Déclaration sur la fraternité humaine du pape François et du Grand Imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb de 2019 :

“Nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme”14

Conclusion

Eric Zemmour le dit lui-même : “Aujourd’hui s’éveille dans la jeunesse française des questions auxquelles leurs parents ne voulaient pas répondre : qui suis-je ? Qu’est ce que je crois ? Où vais-je ? Dieu existe-t-il ?”15.

Mais la seule réponse qu’il y apporte est une réponse identitaire. Nous sommes plus exigeants : nous croyons que la jeunesse a soif de réponses existentielles, d’éclairages spirituels. Nous refusons cette vision étriquée du catholicisme, car notre foi est loin de se limiter à une dimension identitaire. La seule identité chrétienne que nous reconnaissons implique de mettre en œuvre concrètement dans la société les enseignements de Jésus, de vivre la radicalité du mystère de son Incarnation, de rayonner des  valeurs de l’Evangile. 

Alors Monsieur Zemmour, nous ne vous laisserons pas parler en notre nom, ni confisquer le christianisme pour légitimer une idéologie qui va à l’encontre du témoignage du Christ.

Sources

  1. Voir l’ouvrage écrit par un collectif d’historien.nes, Zemmour contre l’Histoire, Paris, Gallimard, 2022 ↩︎
  2. La civilisation judéo-chrétienne ; Anatomie d’une imposture, les liens qui libèrent, 2025. ↩︎
  3. Voir aussi le document du Concile Vatican II en 1965 : Nostra Aetate, déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes et son paragraphe 3 sur le rapport entre Islam et catholicisme. ↩︎
  4. Voir :  le Coran des Historiens, sous la direction de Mohammad Ali Amir-Moezzi et Guillaume Dye, Paris, Cerf, 2019. ↩︎
  5. « Français de papier », une formule xénophobe au service de la division de la nation, Le Monde, 25 octobre 2023 ↩︎
  6. L’Humanité, « Grand remplacement », insécurité, immigration et Islam : 4 intox de l’extrême droite débunkées, mars 2025 ↩︎
  7. Voir aussi, France Info : Les actes antimusulmans ont augmenté de 75% en France, selon les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur, juillet 2025 ↩︎
  8. Document final du synode des évêques de 1971 sur la promotion de la justice dans le monde ↩︎
  9. https://collectif-anastasis.org/2025/10/01/les-papes-vs-j-d-vance-quel-ordo-amoris-promeut-leglise/ ↩︎
  10. https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/les-textes-officiels/191-sollicitudo-rei-socialis#p42 ↩︎
  11. Emmanuel Mounier, l’affrontement chrétien, Paris, Salvator, 2023. ↩︎
  12. Dans l’émission Le Grand Face à Face, France Inter, 15 septembre 2018. À noter qu’il revient sur cette formule dans son livre, sans la citer ni la contredire explicitement. ↩︎
  13. A toutes fins utiles, nous rappelerons que Charles Maurras et l’Action française ont été condamnés pour ce même corpus d’idées le pape Pie XI en 1926. ↩︎
  14. https://www.vatican.va/content/francesco/fr/travels/2019/outside/documents/papa-francesco_20190204_documento-fratellanza-umana.html ↩︎
  15. Le JDNews, n. 056, Eric Zemmour, « La France sans christianisme n’est plus la France » ↩︎
Comment avons-nous fait l’action ?
Vous critiquez, mais avez-vous lu le livre ?
N’est-ce pas être contre nos frères et sœurs chrétiens qui votent extrême droite ?
N’est ce pas empêcher E. Zemmour d’exprimer ses idées ?
N’est-ce pas diviser les chrétiens ?